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- Groupe Morbihan (56) 

de Georges Pondaven - Vannes

LA VIE QUOTIDIENNE DES BRETONS
PENDANT LA GUERRE 39-45

ajout de la 2ème partie

         La pandémie du Covid19 bouleverse depuis une bonne année le rythme et les habitudes de vie de la population mondiale. Les gens subissent les manques de libertés pour se déplacer, travailler, s'instruire, se cultiver, se distraire...Les anciens, particulièrement ceux des maisons de retraite, ont déjà payé un lourd tribut à la maladie puisqu' environ 100 000 personnes ont péri. Cette situation crée dans les populations des sentiments et des réactions divers : frustration, impatience, dépression mais aussi résignation et espoir en attendant la disparition du virus.

         Cela étant, les Français et de très nombreux Européens ont connu une autre période autrement plus tragique et sûrement plus longue il y a environ 80 ans. De nombreux adhérents de l'ANR comme moi, ont probablement connu les malheurs de la guerre 39-45. Je voudrais ici rappeler les conditions de vie de l'époque et les comparer aux contraintes actuelles en montrant que les impatiences et les manques de civisme d'aujourd'hui ne devraient pas être de mise. 

        Pendant ces quatre années (juin 40 à août 44), passées en partie à Brest, j'avais de 9 à 13 ans. Je me souviens donc de quelques faits mais il me manquait la mémoire des dates, des chiffres et des évènements. J'ai préféré afin d'être le plus exhaustif possible, puiser dans les documents produits par Christian BOUGEARD, historien auteur de nombreux ouvrages politiques et sociologiques.  J'ai consulté ses écrits dans « Les Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest (année1985-tome 92-chapitre 1 pages 79 à 102)» et je le remercie de nous avoir fourni une aussi abondante documentation sur la guerre 39-45.

          Quatre années d'occupation allemande ont été lourdes de conséquences sur la vie quotidienne des Bretons avec son lot de restrictions, de difficultés de ravitaillement, de développement du marché noir, de pénuries de toutes sortes (charbon, bois, essence, vêtements...), règlementation tatillonne, risques quotidiens, répression de plus en plus lourde avec l'essor des divers mouvements de résistance.

          A partir de 1942, la pression allemande s'intensifie : prélèvement en hommes (STO = service du travail obligatoire pour les hommes de 20 à 23 ans), en denrées alimentaires aggravant les conditions de vie notamment dans les villes : Rennes, Nantes, Brest, Lorient … Les bombardements alliés provoquent de nombreuses victimes civiles.
                        L'heure « allemande » est imposée (GMT + 2 heures).

          Les soucis ont commencé avec l'afflux des réfugiés venant du nord de la France et de la région parisienne, mais aussi de Belgique, des Pays Bas, du Luxembourg. M. MEYNIER a estimé à plus de 700 000 le nombre de personnes qui pensaient trouver en Bretagne une région inoccupée par les Allemands.

           LES PRISONNIERS : partout des soldats français sont faits prisonniers. Dans les Côtes du Nord on en a compté 27 000 dont 24 000 se retrouveront dans les oflags et les stalags. 35 000 prisonniers sont internés dans le Morbihan (visites interdites) puis envoyés en Allemagne. En juillet 1940 on a compté 40 000 prisonniers de guerre à Rennes. Il s'ensuit un manque de main d'œuvre important pour les travaux des champs et des usines, ce qui ébranle la vie économique.

             LES PRIVATIONS DE LIBERTES

             Le 20 juin 1940, une véritable charte de l'occupation est publiée. Elle définit la loi de fer de l'occupant. Le droit de grève est supprimé, les prix et les salaires sont bloqués. Le couvre-feu est instauré de 23 heures à 6 heures. A Brest, en avril 1941, il est alourdi et imposé à partir de 20 heures parce que la tenue de la population laisse à désirer à l'égard des Allemands. Interdiction de circuler, sauf avec un « ausweis ». L'usage des automobiles et des motos est interdit sauf en cas de nécessités économiques ou sociales (autorités civiles, médecins...). La pénurie d'essence est compensée par l'usage du gazogène, mais le charbon de bois est rare. Au printemps 1944, les transports sont quasiment bloqués ce qui contribue aux difficultés de transport du ravitaillement.

            En Bretagne, une zone côtière interdite est créée qui nécessite des attestations de domicile pour les habitants. Pour y circuler il faut être porteur d'une carte d'identité et d'un certificat de résidence ou d'un certificat de travail pour les ouvriers du Mur de l'Atlantique.

             Les réquisitions : bâtiments publics, casernes, lycées, écoles...sont occupés par les troupes et les services allemands. Les officiers s'installent dans les résidences les plus confortables. La proximité des Français et des Allemands amène des incidents. En 1944 :  les réquisitions massives de chevaux, de vélos, de véhicules tournent au pillage systématique.

             Les grandes villes et les chefs-lieux de canton doivent supporter la présence d'une garnison et de l'administration allemandes.

        LES OTAGES : l'occupation, c'est aussi rapidement la menace ouverte d'une répression sanglante en cas de tentatives de résistance. Des otages sont exigés des autorités municipales. Dès juin un avis avertit, les Lorientais d'abord, puis toute la population que « pour chaque soldat allemand assassiné, dix otages seront fusillés ». Il est interdit d'écouter la BBC (radio anglaise) sous peine de mort.  Lacérer des affiches, saboter des lignes téléphoniques entraînent la prise d'otages... Les listes d'otages en général sont des notables locaux. Le député-maire de Plouescat, le maire de Plouvorn, le général de REAH, le fils d'un procureur de la république, un percepteur... sont incarcérés. Néanmoins les attentats se poursuivent. Les arrestations deviennent plus massives. Des communistes, déjà arrêtés en 1939-40 sont exécutés en représailles de l'attentat commis contre le L.t colonel HOTZ chef de la kommandantur de Nantes en octobre 1941. Cinquante otages sont fusillés, dont un jeune homme de 17 ans, à Chateaubriant et d'autres à Nantes. Le passage de militants communistes à la lutte armée contre l'occupant connaît des exécutions massives d'otages.

            LE PILLAGE ALLEMAND : le charbon du Nord, le minerai de l'Est, la production agricole dans l'Ouest sont pillés. Les départements, bretons entre autres, doivent ravitailler les villes, les troupes allemandes et l'Allemagne en beurre et en viande. Les paysans assez épargnés par l'occupation sont touchés par le STO et l’absence des hommes prisonniers. Devant les exigences de plus en plus marquées des Allemands, ils passent d'une résistance passive en une aide aux réfractaires du STO (1942) et aux maquis des patriotes (1944).

            LES IMPOSITIONS ALLEMANDES : dès 1940 les services du Ravitaillement Général sont chargés des réquisitions, appuyés par la Corporation Paysanne mise en place par le gouvernement de Vichy (Pétain-Laval). Dès 1942 les pressions allemandes mettent fin aux activités des organisations corporatistes paysannes.  Les prélèvements des céréales, du beurre, des bêtes sont soi-disant destinées à nourrir les citadins. Mais les paysans, qui ne sont pas dupes, pensent que l'essentiel des prises vont aux allemands civils et militaires. Souvent les autorités religieuses appellent à livrer les quotas exigés pour éviter les difficultés dont les citadins, même en Bretagne, font les frais.

              L'AMPLEUR DU PILLAGE : dès leur arrivée les occupants possédant un mark fort

 (1 mark = 20 F) se ruent dans les magasins dont ils vident les stocks (chaussures, vêtements, tissus...). Les commerçants apprécient cette clientèle, surtout après une longue période de dépression et d'inflation galopante. A la libre loi du marché succède officiellement les réquisitions.

Ainsi au quatrième trimestre 1940 dans le Finistère les Allemands ont réquisitionné : 12 000 m3 de bois, 20 000 tonnes de semences de pommes de terre, 200 000 cigares de la manufacture de Morlaix, 9 100 tonnes de paille, 9 880 tonnes d'avoine, 100 têtes de bétail pour l'Alsace-Lorraine (annexée au Reich) par semaine, 1/3 de la production des conserveries. Les prélèvements sont payés grâce à l'argent de la lourde indemnité de guerre versée à l'occupant et qui s'élève à 400 millions de francs par jour.

                                                                                                                      

     Source : Mr Christian BOUGEARD docteur en histoire (Rennes II 1986) Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Bretagne occidentale à Brest et membre du Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC) - UMR 6038 du CNRS en 2005.

 La suite - partie 2

                                 Je vous présente ci-dessous la deuxième partie de :

                 LA VIE QUOTIDIENNE DES BRETONS PENDANT LA GUERRE 39-45 

 

LES REQUISITIONS D'ANIMAUX SUR PIED

La Bretagne, grande région agricole, doit ravitailler la région parisienne et les troupes occupantes. Le Morbihan en novembre/décembre 1940 doit livrer aux troupes allemandes de Vannes, Lorient et Saint-Nazaire 1475 bêtes et expédier 400 porcs aux usines de conserves de la région parisienne travaillant pour l'Allemagne. Les livraisons ne correspondent pas, loin s'en faut, aux demandes. Ainsi dans les Côtes du Nord 80,6% des porcs et 30,4 % des bovins exigés sont livrés. Mais sous pression ( menaces?) des Allemands les résultats sont de 94,3% pour les bovins. Dans le même temps le Morbihan qui a eu une récolte de blé déficitaire doit en acheter en Ille et Vilaine à des prix supérieurs à ceux pratiqués dans les Côtes du Nord et le Finistère. Dans les prélèvements les Parisiens reçoivent la partie congrue. A la fin 1942 l'imposition en augmentation continue est telle que la production des animaux ne peut satisfaire la demande qu'à 50% pour les bovins et au 1/3 pour les porcins. Du coup les producteurs et les communes sont soumises à des amendes. Face aux exigences de plus en plus fortes, les paysans s'opposent à l'administration française, intermédiaire entre les Français et les Allemands. Les paysans accueillent et cachent les jeunes gens recherchés pour le STO et aident les maquisards. Le pillage continue. Dans le Morbihan de juillet à décembre 1942, 44 porcs sont livrés à la consommation locale et 24 pour la Seine alors que les Allemands en ont reçu 2 214 soit 97%. Le marché noir et l'abattage clandestin se développent. Les exigences allemandes dépassent les possibilités des paysans et à la fin 1943 elles ont triplé par rapport à 1941. L'ampleur du pillage de la production animale pour le Morbihan se retrouve pour d'autres produits et dans d'autres régions. Il en est ainsi pour les pommes de terre, le beurre, les céréales, les œufs ...

LES DIFFICULTES DE RAVITAILLEMENT 
Le pillage systématique des ressources économiques par les Allemands, les prélèvements obligatoires, la généralisation des pénuries entraînent des répercussions sur les conditions de ravitaillement dès le début de l'occupation. Ainsi dans le Morbihan le 20 juillet 1940 un arrêté préfectoral interdit la vente de la viande de boucherie fraîche ou en conserve 3 jours par semaine et 2 jours pour la charcuterie. Au mois de septembre, les bouchers et charcutiers ne peuvent pas obtenir de bons d'essence pour s'approvisionner en bêtes. A l'automne 1940, dans les quatre autres départements, les problèmes existent aussi. Beurre, lait, œufs se font de plus en plus rares. Malgré un soi-disant blocage des prix, ceux-ci flambent. A Morlaix le prix des jeunes poulets devient inabordable puisqu'il passe de 50 francs en octobre 1940 à 120 francs en janvier 1941. La situation est identique à Lorient, Vannes, Rennes ... A Vannes le manque de poisson déclenche une manifestation de 1 500 personnes le 30 mai 1941. Les zones de pêche sont très limitées pour empêcher les départs vers l'Angleterre. De plus le carburant est rationné. De ce fait il arrive que l'on vende des têtes de raies et de merlus (avril 1941). Pour les mêmes raisons plus de 300 Concarnois se rassemblent devant la criée (18 février 1943). Le café devient vite introuvable et il est remplacé par de l'orge. L'huile d'arachide manque et les paysans sont invités à cultiver le tournesol et le colza sans grand succès. A Rennes, la société «l'Economique» qui dessert l'Ille et Vilaine, les Côtes du Nord et le Morbihan se voit privée de 90% de ses réserves au profit des Allemands. En 1941-1942 la pénurie est partout présente. Le Préfet d'Ille et Vilaine signale en janvier 1942 que «le ravitaillement devient de plus en plus rare, les légumes ont quasiment disparu, la viande, le lait et le cidre manquent, le charbon est distribué avec parcimonie ... ». Les tickets de rationnement ne sont pas honorés, les marchandises sont livrées avec parfois 3 mois de retard. Le mécontentement se développe un peu partout surtout dans les villes.LES DIFFICULTES QUOTIDIENNES DU RAVITAILLEMENT PAR DENREE :

La viande : le 6 avril 1941 les boucheries sont fermées à Lorient. Début 1942 la viande de porc disparaît des boucheries. Au début de 1943 le kilo de porc acheté sur pied à 25 F est revendu débité à plus de 100 Fau marché noir. En 1943 la ration de viande par semaine à Nantes tombe à 120 g, situation provoquée en partie par la sécheresse. En 1944, les Allemands constituent des stocks énormes en prévision d'un débarquement. Les rations se réduisent à 60g par semaine pour la viande et à 30g par semaine pour la charcuterie à Brest, encore moins à Quimper, Morlaix et Landerneau.

Des restaurants d'entraide essaient de compenser la pénurie. Dans les Côtes du Nord on note que la situation est plus avantageuse dans les campagnes à la suite d'abattages clandestins.

Le pain : en été 1941 la récolte de blé est insuffisante. Malgré les tickets (octobre 1941) le pain manque et des manifestations de femmes qui tournent presqu'à l'émeute éclatent à Loudéac, Guingamp, Saint-Brieuc. Les évêques de Quimper et de Saint-Brieuc lancent des appels en direction des paysans. La ration de pain passe à 250g par jour et en janvier 1942 il y a deux jours par semaine sans pain. En 1943 la soudure se fait dans le Finistère grâce à la venue de 17 000 quintaux de blé du Morbihan. La ration diminue encore et le pire arrive en 1944, pendant 3 mois il n'y a plus du tout de pain à Pluvigner. La situation est identique dans les Côtes du Nord, les régions de Guingamp et Lannion. Le manque de farine devient général, le climat devient insurrectionnel. Finalement 500 quintaux réservés pour les Allemands sont débloqués. De plus, le pain, quand il y en a, est de très mauvaise qualité.

Le beurre : il est aussi soumis aux réquisitions et la pénurie est durement ressentie. En 1942, pendant 4 mois, la distribution est supprimée dans le Morbihan. Résultat : mécontentement, troc avec les paysans, marché noir. En mai 1944 la moitié de la production, dans le Morbihan, est destinée à la population soit environ 100 g par personne et par mois. Puis en juin 1944 la situation s'améliore par les difficultés de liaison Bretagne-Région parisienne et les tickets sont enfin honorés.

Le lait, les œufs et les fromages : pour ces produits le ravitaillement est aussi parcimonieux. Dans le Morbihan, après les prélèvements pour les Allemands, pour les régions parisiennes et du Nord-Pas de Calais il reste 32,6% pour les Morbihannais soit une moyenne de 36 œufs par mois pour 100 personnes. En avril 1942 dans le Finistère sur les 580 000 œufs ramassés, 36,5% sont pour les Allemands et 22,6% pour les Parisiens.

Le poisson : la Bretagne, grosse productrice de poisson, connait la pénurie car les Allemands accaparent l'essentiel des prises. La pêche est limitée à 3 miles et le jour seulement pour éviter les départs pour l'Angleterre. S'il manque un seul bateau la pêche est interdite pendant plusieurs semaines (Trébeurden -Perros-Guirec en 1941 ). En 1944 les pêcheurs ne sont plus autorisés à sortir. Les carences des produits ci-dessus affectent la population et surtout les enfants.

Les boissons : elles sont rationnées. Adultes et travailleurs : 4 litres de vin par mois, travailleurs de force de 8 à 12 litres par mois. Côté positif, on constate une diminution des cirrhoses du foie ! Le cidre est lui aussi contingenté.

Le tabac connait le rationnement : un paquet de gris et un paquet de cigarettes par semaine.

Les répercussions économiques et sociales : les salaires et traitements sont bloqués malgré une hausse très forte des prix. Les ouvriers et les fonctionnaires sont les plus touchés alors que certains paysans et commerçants s'enrichissent scandaleusement. Les paysans connaissent cependant des conditions particulières. Ils sont harcelés par les Allemands et par les responsables du ravitaillement, sollicités par la population civile, les résistants et les réfractaires qu'ils cachent. Dans les villes s'ajoutent aux pénuries la crainte des bombardements alliés sur Rennes, Brest (165 bombardements durant la guerre), Lorient, Nantes ... Du 16 au 23 septembre 1943 on dénombre à Nantes 1300 morts et plus de 2000 blessés.

La guerre fut difficile à vivre pendant plus de quatre ans par la rareté des produits alimentaires voire leur disparition comme le sucre remplacé par la saccharine, le café remplacé par l'orge, le thé, le savon, etc. Même le papier était rationné dans les écoles. S'ajoutant aux privations des libertés tout ce qui concernait l'information et la culture était censuré ou teinté de propagande pétainiste ou allemande: livres, journaux, films, théâtre, conférences ... La population se distrayait en lisant ou avec les jeux de société, cartes, dominos, dames, tricot, boules et palets à la campagne ... et l'écoute discrète de la BBC. La grande majorité des Bretons, comme des Français, a supporté avec patience, parfois en manifestant leur colère devant tant de privations mais très dignement et surtout avec la certitude qu'un jour cette triste période aurait une fin.

Source : Christian Bougeard historien, docteur en Histoire (Université de Rennes II 1986) professeur à l'Université de Bretagne occidentale à Brest, membre du Centre de Recherche bretonne et celtique, auteur de « La vie quotidienne des Bretons pendant la guerre. Quelques extraits » publiée dans «Les Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest» Editeur http://www.persee.fr à Lyon.